Humour noir et délivrance : rire au bord du tombeau
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Suite à l’article précédent « La mort symbolique », abordons l’Humour noir et la délivrance.
Le scandale du rire devant la mort
Il y a quelque chose de scandaleux à rire là où l’on attend des larmes. Un cercueil, une tombe, une marche funèbre : tout exige le silence, la gravité, l’ordre solennel. Rire dans ce décor, c’est profaner. Et pourtant, ce rire est peut-être la seule réaction qui ne mente pas. Car au fond, qu’y a-t-il de plus absurde que ce défilé? Peut-être est-ce là que l’humour noir rencontre la délivrance.
On meurt, on se décompose, on disparaît. Rien de noble là-dedans, rien qui mérite les airs compassés. Le rire, en surgissant, détruit le théâtre. Il arrache les draperies funèbres, il crache dans le visage même de la mort. C’est une insulte, une gifle, une obscénité. Mais c’est aussi une délivrance : soudain, le poids de la gravité se fendille.
Le rire comme convulsion du corps
Le rire et la mort ont quelque chose en commun : ils secouent le corps. La mort l’anéantit, le réduit en poussière. Le rire, lui, le tord, le plie, le déforme. Dans un éclat de rire, le corps échappe un instant au contrôle : les muscles convulsent, le souffle se brise, les larmes coulent parfois, ce qui crée un moment de délivrance tout en ajoutant de l’humour noir.
Rire au bord du tombeau, c’est laisser son corps entrer en révolte. Non pas contre la mort – elle triomphera toujours – mais contre le sérieux, contre la mise en scène. La mort exige le recueillement ; le rire est un hoquet, une convulsion obscène. Entre les deux, il y a une proximité troublante : l’agonie ressemble parfois à un rire qui s’étrangle.
La farce grotesque de la fin
La mort est grotesque. Elle défigure, elle putréfie, elle transforme les corps en carcasses gonflées, en os secs, en matière inutile. Elle fait de la dignité une blague. Ceux qui voudraient qu’on « meure dignement » se trompent : il n’y a rien de digne dans un corps qui pourrit.
Le rire rejoint la mort dans ce grotesque. Lui aussi ridiculise, lui aussi met à nu la laideur cachée. Un éclat de rire funèbre, c’est reconnaître cette farce. Nous ne sommes pas des héros qui tombent, nous sommes des pantins qui s’effondrent. La mort est une mauvaise farce, et l’humour noir se traduit par le rire comme seule délivrance qui l’accompagne jusqu’au bout.
Insolence et délivrance
Rire de la mort, c’est refuser le rôle d’enfant sage que la vie nous impose. C’est refuser d’accepter en silence. La mort veut nous réduire à néant, et nous lui répondons par une grimace. Elle nous prend tout, mais elle ne peut pas nous voler ce spasme inutile, cette secousse absurde qui fait éclater le masque de sérieux, une véritable délivrance teintée d’humour noir.
Il n’y a pas là de courage, ni de sagesse. Ce n’est pas une vertu, c’est une insolence. Une insolence minuscule, dérisoire, mais qui change tout : elle arrache à la mort son dernier triomphe, celui du silence imposé.
La communion des rieurs et des cadavres
Imaginez une veillée funèbre où, au lieu de réciter des prières, les proches éclatent de rire en évoquant les absurdités du défunt. Imaginez une tombe devant laquelle on ne pleure pas, mais où l’on ricane. Ce n’est pas un manque de respect : c’est une communion plus forte que les larmes, où humour noir et délivrance s’entremêlent.
Car le rire ne nie pas la mort. Il ne la masque pas sous des illusions consolatrices. Au contraire, il la met à nu : il montre son grotesque, sa cruauté, son absurdité. Rire devant la mort, c’est dire : « Oui, tu nous prends, mais tu n’auras pas notre sérieux, tu n’auras pas notre dignité. Tu nous auras morts, mais pas dociles. »
Le rire et l’obscénité de l’existence
Le rire funèbre rejoint la vision la plus bataille-esque de la vie : l’existence est obscène. Nous ne sommes que chair, sueur, excréments, pulsions, sang. La mort ne fait que révéler cette obscénité : elle dépouille les corps de leur masque. Le rire, lui, révèle la même obscénité du vivant; l’humour noir devient presque une délivrance.
Rire au bord du tombeau, c’est s’abandonner à cette obscénité. C’est reconnaître que nous ne valons pas mieux que ce cadavre qui gonfle sous terre. Mais c’est aussi savourer cette obscénité dans une jubilation paradoxale. Le rire ne sublime pas la mort, il la met à nu – et il jouit de cette nudité.
Le triomphe inutile
Au bout du compte, la mort gagne toujours. Elle n’a pas besoin de courage, elle n’a pas besoin d’efforts : elle nous attend, patiente, et finit par prendre. Mais le rire, aussi inutile soit-il, arrache une petite victoire : celle du ton, une sorte d’humour noir face à la mort, et offre une délivrance.
La mort nous prend la vie, mais le rire lui vole son sérieux. Elle nous dépouille, mais il la ridiculise. Il ne change rien, et c’est précisément ce qui le rend pur. Ce triomphe inutile est le seul triomphe qui nous reste : un éclat de rire comme dernier souffle.
Humour noir et délivrance : le dernier éclat avant le silence
Rire au bord du tombeau n’est pas une sagesse, ni une stratégie, ni un remède. C’est une obscénité, une insolence, une convulsion. Mais c’est aussi une délivrance. Car si la mort exige le silence, le rire est une révolte sonore. Dans ces moments, humour noir et délivrance s’expriment pleinement.
Peut-être qu’un jour, chacun de nous mourra en silence. Mais d’ici là, nous pouvons au moins rire – rire fort, rire mal, rire contre la mort. Et si elle n’a pas d’humour, tant mieux : elle partira vexée de n’avoir pas eu le dernier mot.
« Mais l’ombre s’étend désormais dans nos machines et nos doubles numériques. »
Pour relire l’ensemble du dossier ‘Vivre après la mort intérieure’, cliquez ici.
“Prendre la mort au sérieux et se permettre aussi d’en rire” (Érudit)
Une étude qui explore les mécanismes de l’humour noir dans les films traitant de morts violentes, en s’appuyant notamment sur Freud.
→ https://www.erudit.org/fr/revues/fr/2018-v30-n1-fr03851/1049459ar/
FAQ
Parce que la mort impose le silence et la gravité. Le rire la profane, il brise la mise en scène funèbre.
Ce n’est pas une fuite, mais une insolence. Le rire ne nie pas la mort, il la tourne en dérision et arrache une forme de liberté.
L’humour noir révèle le grotesque et l’absurde de l’existence. Face à la mort, il devient la dernière arme dérisoire mais vitale.
